L’affaire de l’empoisonneuse de Choisy
- Philippe ALEXANDRE
- 4 déc. 2023
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 janv. 2024
La source :
Notre source provient du journal « La Presse » fondé en 1836 par émile de Girardin, il n'a arrêté de paraitre qu'en 1952. C’est un des journaux français, avec aussi le titre « Le Siècle » qui a été l'un des plus populaires en France pendant cette période. Il a popularisé la pré-publication de romans feuilleton de Balzac notamment.
L’article qui m’a intéressé est une parution de 1950 signé Sylvia Risser, une journaliste spécialisée dans les rubriques police et judiciaire (Collaboratrice de Police Magazine pendant les années 1930)


Je suis tombé par hasard visiblement sur une affaire judiciaire bien connue, enfin qui a du moins fait couler beaucoup d’encre, puisqu’elle date de 1813. Que fait un tel récit dans un journal populaire en 1950 ? Il est clair que "La Presse" doit sa popularité à des sujets un peu racoleurs. Et les histoires d’empoisonneuses se sont toujours bien vendues même un siècle et demi après.
Alors qu’elle est donc cette histoire d’empoisonneuse ? Il faut avouer que cette affaire a effectivement fait l’objet de nombreuses publications, elle est connue sous plusieurs dénominations : l’affaire de l’empoisonneuse de Choisy dans la presse, « Le petit journal » du 13 janvier 1926,


dans la littérature avec « Babet l’empoisonneuse ou l’empoisonnée » de G. Lenotre en 1927, et même à la télévision avec Le mystère de Choisy, un épisode de la série « La caméra explore le temps» disponible sur le site de l’INA. Et jusque dans « L’actualité du patrimoine » N°3 de Choisy-le-Roi qui revient sur cette page d’histoire locale (Auteur André Ferauge - membre de l’association Louis Luc pour l’histoire et la mémoire de Choisy-le-Roi).

C’est à la fois un drame, une grande erreur judiciaire, mais aussi une énigme judiciaire plutôt rocambolesque. Alors revenons sur les faits à travers la presse, la littérature mais aussi à l’aide des archives disponibles.
Les protagonistes :
Tout d’abord présentons le mari, c’est le comte de Mornont, ou plus exactement Charles Bady, comte de Mornont. Né le 20 juillet 1756 à Avesnes dans le nord, il est le fils de Bertrand-joseph Bady, comte de Mornont et de Marie-Françoise de Bande, baronne.
Il est connu pour avoir tenu les rangs de Lieutenant au régiment royal des dragons puis capitaine, lieutenant des maréchaux de France au département d'Avesnes (1786), Commandant général de la garde nationale d'Avesnes (1791). Comme vous l’avait compris il est de la noblesse d'épée. Voici son pedigree. (Il est en bas, le troisième en partant de la gauche)

Sa femme : Elizabeth Leverd (La nièce de Françoise) dite "Babet"
La fausse belle-mère : Françoise Leverd (la tante d’Elizabeth) ou madame de Mellerty.
l’accusée : Julie Jacquemin (La domestique)
le complice : Bourrée on ne sait pas trop qui il est selon les différentes sources mais il serait l’amant de Julie Jacquemin et le père de l’enfant de Julie.
Le rappel des faits :
Tout commence en 1764, lors d'une pause à l'auberge de la Poste d'Avesnes (Nord), le comte de Normont fait la connaissance de Françoise Leverd, une charmante jeune fille et fille de l'hôtelier. Elle accepte de devenir la dame de compagnie et la gouvernante des trois enfants du comte. Une relation particulière se développe entre Françoise et le fils aîné, Charles. En 1788, anticipant sa fin prochaine, le comte recommande à son fils de ne jamais se séparer de Françoise, désormais considérée comme sa belle-mère aux yeux de Dieu.
En 1793, Charles, alors âgé de 35 ans, est arrêté en tant qu'aristocrate, et ses biens sont confisqués. Il s'évade puis s'exile, et il confie la gestion de ses affaires à Françoise. Son retour en France en 1796 est possible grâce aux biens acquis par Françoise. Ils élisent alors domicile à Paris, rue de l'Echiquier, où Françoise adopte le nom de Madame de Mellerty pour dissimuler ses modestes origines.
Un jour, le frère de Françoise, Constant, ruiné, offre ses services, présentant ainsi Elizabeth, sa charmante nièce. Charles de Bady, il tombe éperdument amoureux d'Elizabeth et l'épouse le 25 septembre 1802 à Paris.

Cependant, la vie d'Elizabeth devient un calvaire, affublée du surnom méprisant de "Babet" par sa tante, qui la rabaisse constamment.
Un an après leur mariage, Charles acquiert une maison à Choisy, partageant son temps entre Paris et Choisy avec Françoise de Mellerty. Cette dernière, souhaitant maintenir le contrôle, exige un grand appartement meublé dans la nouvelle maison. Rapidement, Françoise la fait passer pour folle aux yeux de tous. Sa tante engage alors deux femmes de chambre à sa solde : Julie Jacquemin, puis la cousine de cette dernière, Véronique.
Babet en vient à détester sa tante. Mais le drame est total en 1812 avec la mort suspecte de la fille d'Elizabeth, Caroline, née en 1810, qui plonge élisabeth dans un profond chagrin. Les absences fréquentes de Charles, accompagné de Julie, la femme de chambre, et le retrait de Julie pour accoucher secrètement d'un enfant élevé par son cousin, Bourrée, s'ajoutent à la détresse de Babet. Charles exprime son désir de divorcer en 1812, aggravant la situation mais le divorce n’est toutefois pas prononcé.
Le 21 août 1812, Elle reçoit une lettre anonyme qui la menace de vengeance et lui annonce le départ de Charles. Enfin, le 1er avril 1813, l'affaire atteint son point culminant avec la découverte de Babet, retrouvée la bouche noircie et intoxiquée mais vivante. C’est notre affaire.
Le premier procès :
L'enquête pointe du doigt Charles le mari, Françoise la tante et Julie la domestique et lors du procès, tous les témoignages soutiennent la cause de la comtesse "Babet" et tous les soupçons se concentrent sur Julie et Bourrée.
L’avocat de Julie Jacquemin, démontre que, dans l’affaire, il n’y a qu’un coupable : Mme de Normont, que celle-ci est vraiment folle et s'est elle-même mise en scène mais le jury ne le suit pas.
La clef de ce premier procès, ce sont les deux lettres découvertes par le jardinier M. Perrault. Celles-ci sont l’oeuvre du coupable, et le juge fait venir à la barre deux experts : MM. Brard et Saint-Omer, professeurs d’écriture, qui viennent affirmer que Julie Jacquemin est bien l’auteur de la lettre trouvée par Perrault. Et le jury, peu tendre au crime domestique, n’hésite pas à affirmer la culpabilité de la malheureuse, sans toutefois certifier celle de Bourrée.
Julie Jacquemin est condamnée à mort en première instance et son présumé complice Bourrée acquitté.
Il n'y a pas de cadavre, mais une condamnée à mort.
La réhabilitation.
L’avocat de Julie Jacquemin, Maitre Desèze, se pourvoit en cassation pour vice de forme au premier procès. Une chance inespérée. Cette fois-ci c’est la cour de justice de Seine-et-Oise à Versailles qui va rejuger l'affaire et cette fois-ci elle prendre en compte tous les témoignages concernant la personnalité de "Babet" la comtesse de Normont.
Les magistrats vont consacrer treize audiences à évoquer les histoires inventées par la comtesse élisabeth de Mormont née Leverd.
L’affaire du poison : Babet envoie la cuisinière acheter un émétique que l’apothicaire refuse de lui vendre sans ordonnance. La comtesse s’ingénue à se procurer un émétique: sa tante l’apprend et l’accuse de vouloir l’empoisonner. La jeune femme s’en défend, avouant que le poison était pour elle car elle était résolue à mourir.
L’affaire des « hommes noirs » : dans la nuit du 26 au 27 août 1808, deux hommes pénètrent dans la chambre d’Elizabeth et la menacent d’un poignard, mais s’enfuient devant ses appels au secours non sans dérober un portefeuille contenant sept mille francs.
La veille, elle avait ameuté tout le personnel de la maison en clamant qu’une pierre lancée de la cour voisine avait brisé la vitre de chambre et l’avait atteinte à la tête.
Quatre mois après, elle va porter plainte à la police pour avoir été accostée rue Saint-Denis puis menacée pour ne rien dire du vol de Choisy sous peine d’être assassinée elle et sa famille. Les enquêtes sont ouverte par la maréchaussée mais restent sans suite.
A la perte de son enfant Caroline, âgée de 20 mois, elle va également proférer des accusations d’empoisonnement sans aucune preuve ni fondements.

Le procès de l'emposonneuse devient celui de l'empoisonnée. Le jury acquitte enfin Julie Jacquemin le 3 novembre 1814.
On découvre que le verdict s'accompagne d'une mention concernant un écrit intitulé "mémoires sur la fable de l'empoisonement de Choisy" qui contient des attestations injurieuses envers Mme la comtesse et que le tribunal en ordonne la suppression.
Voici effectivement les deux tomes du livre qui ont été publié à l'époque dont en voici un exemplaire vendu aux enchère par la maison RICHARD :

Le vrai du faux
Les différents récits, et articles se recoupent mais aussi se contredisent ou sont totalement à côté de la plaque.
La tante s’appelle un coup Mellerty, un coup Mellertz, la comtesse se prénomme élisabeth mais devient Julie comme Julie Jacquemin, Bourrée, le complice présumé est selon les versions, un amant, un père, un cousin de julie Jacquemin, un valet de chambre, un homme de main du comte ou un encaisseur des eaux à Paris. Le père de Charles est nommé Pierre alors qu’il se prénomme Bertrand-joseph. Seules les pièces judiciaires des deux procès ne peuvent mentir.
Alors je me suis intéressé à Julie Jacquemin. Julie va se marier en Belgique à Baisieux le 12 juillet 1822, soit huit ans après son acquittement avec un certain Joseph Fidèle Brulant :


Ce qui nous intéresse, c’est que Joseph Fidèle Brulant est cocher au service d’un certain Comte de Normont Rinsart demeurant à Baisieux. Aucun doute c’est bien le frère de Charles Bady, Bertrand Bady lui même.
Quant à Julie Alexandrine Jacquemin âgée de trente huit ans, elle est lingère également au service de Mr le Comte de Normont Rinsart
Enfin le couple reconnait comme leur enfant la petite Charlotte née le 6 mars 1812 à Paris 5eme arrondissement. Les témoins sont les deux frères et comtes de Normont : Charles et Bertrand, 64 et 66 ans.
Julie décède à Courcelles (Belgique) le 25 juin 1869 à l‘âge de 84 ans.
Alors est-ce que Julie a été l’amante du comte Charles ? Et Charlotte leur enfant. Aucune idée mais à votre tour d’enquêter et de vous faire votre propre avis.
Liens pour aller plus loin :
Transcription « Babet l’empoisonneuse ou l’empoisonnée » de G. Lenotre - 1927
Transcription du « Le petit journal » du 13 janvier 1926
Notice généalogique sur la famille de Bady. [Signé : Michaux aîné.]




Article passionnant et très bien documenté. Bravo pour les recherches !
Récit passionnant qui donne envie de se plonger un peu plus dans cette mystérieuse affaire d'empoisonnement.
Merci pour ce partage 🙂
Au final, de quoi est morte Babet ? J'aimerais bien savoir. Car l'émétique ne provoque que des vomissements. Je suppose qu'il n'y a pas eu d'autopsie à cette époque. Belle énigme en tout cas. Merci pour ce moment.