Jeanne Commet : Le voyage d'une vie
- Philippe ALEXANDRE
- 11 juil. 2023
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 oct. 2023
Ma mère m'a toujours répété qu'ils avaient reçu pendant la seconde guerre mondiale, des colis en provenance des Etats-unis. Je n'ai malheureusement pas retrouvé ces personnes du vivant de ma mère. C'est seulement aujourd'hui que j'ai découvert cette branche "américaine".
Jeanne GUICHARD est née en 1857 à Lormont, elle a deux frères, et elle s'est mariée avec Louis COMMET en 1876, elle a dix-huit ans, lui en a 26 et il est voilier, ils vont habiter à Lormont toute leur vie.
De cette union va naitre trois garçons Pierre en 1877, Pierre (Louis) en 1880, Jacques en 1882 et une petite dernière Marie Louise de 13 ans la cadette de Jacques.
C'est Marie Louise qui va rencontrer l'amour avec un soldat américain, Benjamin COURTRIGHT basé à Lormont, elle se marie avec lui le 19 mai 1919, et bien évidemment le suit à Spokane (Washington) aux Etats-unis. C'est elle qui enverra à sa famille ce fameux colis.
Mais ce qui m'a ému c'est que Jeanne, la mère de Marie Louise , décide elle aussi de faire la traversée. Pourquoi quitter la France à 62 ans ?
Ses trois fils ainés, ont participé activement à la première guerre mondiale en tant qu'engagés volontaires dans la marine, l'aîné Pierre, marié en 1904, de profession sellier, va quitter la région bordelaise pour Gennevilliers en 1911, et les deux autres, Pierre Louis, second quartier maitre fourrier et et Jacques, marin vont continuer leur carrière dans la marine nationale.
Au décès de son mari en 1910, Jeanne va donc se retrouver seule avec sa fille, la jeune Marie Louise Elle a 52 ans et sa fille 15 ans. Alors quand sa fille est partie, j'imagine que c'est ce qui l'a motivée à suivre sa fille.
Comment Jeanne avait-elle rejoint les Etats-Unis : était-elle avec sa fille et son gendre sur le même bateau, ou seule plus tard sur un autre bateau ?
Direction Ellis Island, tout individu non américain ("alien passengers") devait passer obligatoirement par ce centre d'émigration et j'ai retrouvé le dossier de Jeanne Guichard ou plutôt de Jeanne Commet, son nom marital officiel pour le service de l'immigration américain.
Manifeste des passagers "alien" du S.S. NIAGARA, Jeanne est numéro 3 :
Jeanne a voyagé sur un paquebot de la compagnie française générale transatlantique le S.S. NIAGARA qui est parti de Bordeaux le 12 novembre 1919 et qui a accosté à New York le 3 décembre 1919.
Sur le manifeste il est écrit que Jeanne COMMET est française, âgée de 62 ans et 11 mois, de race blanche, sachant lire et écrire le français, que sa dernière résidence est à Lormont en France, qu'elle est sans profession, veuve et qu'elle ne souhaite pas travailler. elle est en bonne santé mentalement et physiquement, elle mesure 5 pieds 6 pouces soit 1m68, et elle a les cheveux blancs et les yeux gris.
A la question "The name and complete address of nearest relatives or friend in country where alien came" c'est à dire les coordonnées d'un parent ou ami du pays d'origine, il est mentionné Mr. Hilaire BACHELLERIE, le maire de Lormont. Pourquoi inscrire le maire de Lormont comme personne la plus proche pour émigrer aux Etats-Unis et non un de ses fils. Pour donner un caractère plus officiel à sa demande ou est-ce parce que c'est la mairie de Lormont qui a payé le billet ? En tout cas elle déclare qu'elle a payé son billet de traversée, et qu'elle n'a pas de ticket de transport pour se rendre à Spokane mais qu'elle est en possession de plus de 50$.
La destination finale est bien la ville de Spokane dans l'état de Washington ou elle rejoint bien son gendre, Mr COURTRIGHT et déclare souhaiter rester définitivement aux Etats-Unis : "Length of time the alien entend to stay in the United States : always".
Voici des photographies de l'intérieur du paquebot qui donne un aperçu des conditions de vie pendant les 21 jours de traversée;
Quelques photographies du paquebot S.S. NIAGARA pendant son exploitation par la Cie Générale Transatlantique. Initialement affecté en 1912 à la ligne Le Havre - Québec - Montréal, puis sur la ligne de New York. La capacité de transport était alors de 182 passagers en 2e classe et 960 passagers en 3e classe.
Jeanne n'a pas été admise a entrer immédiatement sur le territoire américain. un agent de l'immigration, Mr McCullough, a classé Jeanne LPC, qui signifie "Probable Public Charge" sur la liste des "Aliens held for special inquiry" (Immigrants retenus pour investigation). Ayant déclaré ne pas avoir de profession et ne pas avoir l'intention de travailler a pu amener le fonctionnaire à penser qu'elle ne serait pas en mesure de gagner sa vie et d'être à la charge de l'état américain, et cela malgré le fait qu'elle rejoignait sa fille et son gendre.
Elle est passée devant le BSI - Board of Special Inquiry - le lendemain de son arrivée à New York, le 4 décembre 1919 à 9h15. Sous la rubrique "Action of the Board of Inquiry - Admitted" on voit que la décision finale du 8 décembre 1919 à 9h22 est finalement favorable à son entrée aux Etats-Unis.
Il ne restait plus à Jeanne qu'à traverser les Etats-Unis, encore quelques jours de voyage pour arriver à Spokane, par le train cela prends aujourd'hui environ deux jours et demi, j'imagine il y plus de 100 ans.
Les voici à nouveau réunis au recensement de janvier :
Jeanne Guichard épouse commet sera marchande de journaux et vivra encore onze années auprès de sa fille pour s'éteindre à 73 ans.
Sources et crédits :
Pour bien comprendre et déchiffrer les documents du manifeste et du BSI : A Guide to Interpreting Passenger List Annotations
Les listes de passagers : Le site officiel d'Ellis Island
Beau récit, bien documenté, et bien illustré.
Super premier post, félicitation 😁
On a l'impression de faire partie du voyage! Peut-être développer plus l'instant qui vous a procuré une émotion généalogique?
Bel article qui donne des envies de voyage. J'admire le courage de Jeanne d'avoir effectué une telle traversée à son âge et en "mauvaise saison". Le navire semble confortable, ce qui doit aider pour une si longue traversée.
Noëline
Bonjour Philippe, c'est une très belle histoire d'une mère qui suit sa fille aux Etats Unis ! Les photos de l'habitacle du S.S. Niagara sont impressionnantes. Quel était le lien de parenté entre Jeanne Commet et ta maman ?
Amicalement,
Olivier Monnereau