Le naufrage de la Sémillante
- Philippe ALEXANDRE
- 4 mai 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 mai 2024
C'est l'un des naufrages le plus meurtrier de l'histoire de la marine française.
La guerre de Crimée
Ce naufrage intervient dans un contexte de guerre : celui de la guerre de Crimée. Elle oppose de 1853 à 1856 l'Empire russe, à une coalition formée de l'Empire ottoman, de l'Empire français, du Royaume-Uni et du royaume de Sardaigne.
C'est un conflit, qui vise à empêcher la politique expansionniste de l'Empire Russe. L'Empire ottoman, sur le déclin, en est l'enjeu. Les Russes envahissent les principautés de Valachie et de Moldavie le 1er juillet 1853, les Ottomans leur déclare la guerre le 4 octobre. Napoléon III entraîne la France dans la guerre de Crimée. De cette époque, il nous reste, le pont de l'Alma avec son zouave, le boulevard Sébastopol, où la commune de Malakoff, évocateurs de batailles en Crimée.
Pour se rendre sur le théatre de cette guerre, une seule solution : la voie maritime.
Le naufrage de la Sémillante
Le 24 janvier 1855, le commandement de la Sémillante est confié au capitaine de frégate Jugan, qui prépare le navire pour une nouvelle mission vers Constantinople. A son bord, l'équipage a été réduit de 510 à 300 hommes et 9 officiers. Le navire s'est allégé de la plupart de ses pièces d'artillerie, à l'exception de quelques canons de défense.
Le 14 février, le vaisseau, transporte l'équipage, et un peu plus de 400 soldats destinés au 15e Régiment d'infanterie de ligne en Crimée. Il est chargée de 400 tonnes de matériel militaire et de provisions pour le voyage, La Sémillante prend la mer au départ de Toulon dans des conditions météorologiques plutôt mauvaises.
Dés les premières heures du 15 février 1855, le ciel se couvre et le vent se lève, passant d'une brise modérée à une tempête violente. Dans ces conditions difficiles, le capitaine Jugan, est confronté à la menace des récifs et à une visibilité réduite par une épaisse brume. Il tente de naviguer à travers les dangereuses Bouches de Bonifacio. Malheureusement, les éléments se liguent contre lui. La Sémillante, ballotée par les vagues déchaînées, vient finalement s'écraser sur les rochers.
Le naufrage, révélé par la découverte de débris autour des îles Lavezzi, à l'entrée ouest du détroit, est une catastrophe sans précédent. La totalité des personnes à bord disparaissent tragiquement en mer. Aucun survivants. Les secours dépêchés sur les lieux, notamment l'aviso à vapeur Arverne, parviennent à récupérer les corps de 573 victimes. Parmi les corps retrouvés figure celui du capitaine Jugan. il est identifié grâce à la malformation de son pied gauche et à son uniforme. Joseph Carrières, l'aumonnier est également identifié par ses bas de soie. Les dépouilles sont dignement inhumées dans les cimetières de Furcone et de Briquet, sur l'Île Lavezzi.
Cimetières de Furcone et de Briquet © paradisu
A la recherche des disparus de la Sémillante
La plaque commémorative du cimetière rend hommage aux officiers de la Sémillante au nombre de dix, et aux trois officiers passagers à bord du bateau lors du naufrage.
Etat major de la sémillante
1. BERNARD Jean Joseph Marie - lieutenant de vaisseau de 1ere classe - Né le 14/05/1817 à Brest (Finistère)
2. BERTON - Chirurgien auxiliaire de 3e classe
3. CARRIÈRES Joseph - Aumonnier auxiliaire de 2e classe - Né le 7 décembre 1819 à Douelle (Lot)
4. DENANS Jean Laurent - lieutenant de 2e classe - Né le 25/05/1800 à La Seyne (Var)
5. JUGAN Gabriel Auguste - Capitaine de frégate commandant
6. LA PRAIRIE François Eugène - Enseigne de vaisseau - Né le 14/09/1830 à Lorient (Morbihan)
7. LAHALLE Ernest Adolphe - Enseigne de vaisseau - Né le 23 juillet 1827 à Roscoff (Finistère)
8. LE BOS Jean Marie - Théophile Chirurgien entretenu de 2e classe - Né le 29 mars 1825 à Saint-Pol-de-Léon (Finistère)
9. LE NOBLE Étienne Hypolyte - Sous commissaire officier d’administration - Né le 26 décembre 1818 à Toulon (Var)
10. MICHEL Edmond Jacques - Aspirant auxiliaire de 1ere classe - Né le 7 novembre 1832 à Orléans 45 (Loiret)
Officiers passagers :
1. DE MAISONNEUVE Aimé Alexis Lieutenant au 76e regiment d’infanterie de ligne
2. BOLZINGER Pierre Auguste Lieutenant au 3e regiment d’artillerie à Pied.
3. ANDRAU Baltazar Gabriel Honoré Lieutenant au 78e regiment d’infanterie de ligne
Normalement, les noms des membres de l'équipage et des passagers sont inscrits dans le rôle d'équipage. Ce document devrait être au Service Historique de la Defense de Lorient, le port d'attache de la Sémillante. Mais il a disparu en 1943, lors des bombardements.
Alors est-ce que toutes ses tombes d'inconnus resteront-elles à jamais anonymes ? Quels sont les archives disponibles pour retrouver toutes ces disparus ?
Voici ce qui est écrit sur la plaque commémorative de la petite chapelle du cimetière de Furcone sur l'île Lavezzi :
"A la mémoire des officiers des armées de terre et de mer qui ont trouvé la mort dans le naufrage de la Sémillante le 15 février 1855 vers midi. Leurs restes sont confondus ici avec ceux de leurs hommes unis dans le repos éternel comme ils l'étaient dans le devoir. Que leurs noms soient connus pour nous permettre d'honorer leur mémoire"
Les inscrits maritimes
La première piste concerne les marins à bord de la Sémillante.
Les inscrits maritimes sont les dossiers des marins. Ces dossiers sont classés par régions maritimes. Ceux de la région de Lorient sont aux archives de Loire-Atlantique. Ils sont également accessibles en ligne.
Voici le cas d'Alexandre GARET :
Toute sa vie de marin y est décrite, avec son état civil, son descriptif physique général, et les périodes embarquées, avec les dates, les navires et les ports. Son dossier indique qu'il a "Péri dans le naufrage de la frégate la Sémillante le 16 février 1855 dans les bouches de Bonifaccio (Corse)" Il était quartier-maitre manoeuvre à bord de la Sémillante. Il avait embarqué depuis le 24 mars 1854.
La recherche est compliquée à cause de l''indexation par nom et prénom. Il faut pouvoir feuilleter les registres pour y découvrir la mention confirmant qu'ils ont péri dans le naufrage de la Sémillante. La recherche doit être faite dans les autres régions maritimes. C'est le meilleur moyen de retrouver nos défunts marins.
Les pensions pour veuves et orphelins
A la suite du naufrage, Napoléon III a émis un décret le 26 septembre 1855 pour accorder des pensions pour les veuves et orphelins des marins disparus de la Sémillante.
Les pensionnés sont cités dans le bulletin des lois de l'Empire du second semestre de 1855. Nos défunts marins sont listés, avec leurs ayant droits, épouses, enfants avec dates et lieux de naissance et de de mariage le cas échéant. le montant de la pension est bien sût indiqué.
Joachim Marie MONNIER était quartier maitre de manoeuvre à bord de la Sémillante lors de naufrage de la frégate. Il s'était marié le 24 octobre 1849, avec Marie Françoise LARGOUET.
Elle est née le 11 mai 1826 à l'Ile-d'Arz (Morbihan). Elle a donc plus de deux ans de mariage et réside à Vannes (Morbihan). Elle obtient une pension correspondant à une quotité de 126.
Malheureusement, dans ce document, se retrouvent uniquement les marins mariés où avec des enfants mineurs. Nous ne trouverons donc pas les marins célibataires.
L'état civil
Les actes de décès de nos marins sont parfois présent dans les registres des actes de décès de 1855. De préférence dans les communes bretonnes qui ont fourni les hommes d'équipage de la Sémillante. A Montoire-de-Bretagne (Loire-Atlantique), Les actes de décès de Jean-Baptiste RIALLAND et André Stanislas OLLIVAUD sont à la fin du registre.
Plus rare, est de trouver une transcription du décès du naufrage dans l'état-civil. Comme pour les disparus à la guerre, il est parfois nécessaire pour la famille, d'obtenir un jugement du tribunal déclarant la personne comme décédée; pour une succession ou pour le mariage d'un des enfants par exemple. Le jugement s'acompagne de l'obligation de transcription du décès dans le registre de l'état civil. C'est le cas d'Etienne Marie LUCAS, né le 31 janvier 1823 à Kerguerch, commune de Sauzon, dans le Morbihan.
Marguerite SAMZUN a besoin de l'acte de décès de son mari. Le jugement établit qu'Etienne LUCAS, matelot de 2e classe à bord de la Sémillante, a bien péri lors du naufrage, et qu'il est déclaré mort officiellement.
Les militaires de rang
Les militaires se retrouvent à travers leurs transcription de décès également. Cela concerne les militaires du rang comme Auguste ROLLET, il est né le 9 janvier 1834 à Roanne (Loire). Son décès a été transcrit sur le registre de l'état civil de Roanne. L'information de son décès provient de son registre matricule militaire.
Auguste s'est engagé volontairement en 1853. Il est incorporé au premier régiment d'infanterie légère le 17 août de cette même année. Le 4 septembre 1853 il rejoint le 85e régiment de ligne. Il s'embarque sur La sémillante le 11 février 1855. Il est précisé qu'aucun acte de décès n'a été reçu par le ministère de la guerre, mais que ces informations sont extraites de son dossier militaire.
La recherche des soldats morts lors du naufrage à travers les archives militaire en Série R aux archives départementales reste compliqué. Le registre matricule n'apparait qu'en 1867. Rien ne peut nous indiquer où chercher. Il faut éplucher les registres. On sait juste que ces soldats provenait de quelques unités comme 85e de ligne.
Les monuments aux morts
Enfin le cas exceptionnel d'Adolphe COTIN à Saulx (Haute-Saône). Il est présent sur le monument aux morts sur la place de la commune de Saulx, au chapitre "Crimée".
Commémoration
Sur les îles Lavezzi, en plus des deux cimetières de Furcone et de Briquet, se trouve la Pyramide de la Sémillante sur une petite île en face pour commémorer le naufrage
Merci pour ce bel écho à mon propre travail de recherche sur le naufrage du "Ville d'Alger". Ton travail est nettement plus pro et complet que ce que j'ai pu faire et si bien présenté. Cela m'ouvre d'autres horizons si, d'aventure, je trouvais un autre de mes ancêtres naufragé. Pour info, à noter sur le site des Archives nationales "girophares" le projet collaboratif d'un base de données sur les disparus en mer. Mais cela ne démarre qu'en 1872.. Bonne continuation !